Interview avec Dr. Mirjam Hauser, futurologue, Senior Researcher à l’Institut, Gottlieb Duttweiler à Rüschlikon/Zürich (CH)

 

Où achetons-nous de préférence nos aliments ? Comment prenons nous nos décisions devant un rayon ou un comptoir et quelles sont les valeurs qui nous influencent aujourd’hui et à l’avenir ? Des chercheurs qui étudient aujourd’hui déjà les tendances alimentaires de demain nous fournissent un aperçu. Le BIOFACH, Salon Pilote Mondial des Aliments Biologiques, fêtera son 25eanniversaire du 12 au 15 février 2014. C’est une excellente occasion de risquer un regard sur la manière dont on fera ses achats de denrées alimentaires dans le futur et sur les valeurs qui influenceront le consommateur en menant une interview avec l’auteur du Consumer Value Monitor Food, Dr. Mirjam Hauser, de l’Institut Gottlieb Duttweiler à Rüschlikon/Zürich (CH).

 

 

 

Madame Hauser, dans votre Consumer Value Monitor Food, vous concentrez votre attention sur les valeurs qui nous guident lorsque nous achetons des aliments. Quelles sont les valeurs essentielles aujourd’hui ?

Dr. Hauser : Il est intéressant de constater qu’il ne s’agit pas d’une ou deux principales valeurs mais qu’il en existe toute une poignée. Les plus évidentes sont le choix et la qualité des produits. Et la commodité : pouvoir obtenir tout, simplement et facilement. Autre facteur important : la santé. Et le thème de la durabilité s’est naturellement imposé depuis longtemps et jouera un rôle grandissant à l’avenir. Trois grandes catégories de valeurs viennent s’y ajouter : premièrement « convivial et familier », deuxièmement « proche de l’origine » et troisièmement « investir beaucoup de temps ». Le dilemme est que les consommateurs ne savent pas comment tous leurs souhaits peuvent être satisfaits à la fois. Dans la vie quotidienne, c’est à peine possible. Nous passons tous énormément de temps hors de chez nous et travaillons beaucoup. Il reste donc peu de temps pour préparer les repas. On essaie de s’organiser mieux, on mange vite quelque chose en route. Au week-end et durant les loisirs, on essaie de compenser cela et de prendre les repas en commun. L’aspect social est très important. 

Et quels sont les catégories de valeurs, les désirs et les réalités qui influenceront notre manière d’acheter à l’avenir ? Y a-t-il des changements apparents ?

Dr. Hauser : Nous avons constaté un nouveau thème intéressant, le désir de se nourrir « en se fiant à l’expérience » et « sans souci » Cela est étroitement lié à la notion « d’authenticité ». Les gens veulent surtout manger sans avoir à se poser de questions. Ils veulent aller tout simplement dans un magasin pour acheter des aliments sans devoir réfléchir s’il s’agit dans l’ensemble d’une « bonne » alimentation. Il convient donc de réduire la complexité. 

Quel rôle jouent la provenance régionale, le mode de production biologique et le commerce équitable ?

Dr. Hauser : Ensemble, ils constituent une catégorie de valeurs très importante et la durabilité est le thème général omniprésent, ce dont ces trois domaines peuvent tous potentiellement profiter. Mais cela devient critique lorsqu’on abuse de la confiance des consommateurs. L’écoblanchiment (greenwashing en anglais) a par exemple des effets négatifs de même que la provenance régionale lorsqu’elle cannibalise la production biologique.

Est-ce que cela veut dire que dans la catégorie de valeurs se composant des critères « proche de l’origine », « convivial » et « familier » la provenance régionale joue un rôle plus important que le mode de production biologique ?

Dr. Hauser : Fait intéressant : non. Pour les personnes interrogées, la production biologique, la provenance régionale, le commerce équitable et Slow Food sont sensiblement équivalents dans la mesure où ils englobent toutes les catégories de valeurs positives. Le consommateur n’est finalement pas en mesure de savoir si la tomate conventionnelle provenant de la région est « meilleure » que la tomate biologique importée d’Espagne. Et il s’agit là de nouveau de réduire la complexité. 

Qui sont plutôt les gagnants et qui sont plutôt les perdants parmi les canaux de distribution et les groupes de produits ?

Dr. Hauser : Du point de vue des consommateurs, les discounters et les supermarchés ont déjà atteint le summum tandis que les marchés hebdomadaires, les magasins bio et le commerce alimentaire spécialisé peuvent profiter davantage des valeurs actuelles. L’esprit rétro est important à cet égard. Les gens apprécient le sentiment familier remontant à l’époque où le boucher était par exemple en mesure d’expliquer d’ou provient la viande et comment la préparer. On souhaite le retour aux origines. 

Mais cela signifie également que les canaux de distribution traditionnels doivent être transposés dans les contextes modernes. Cela vaut tant pour le commerce que pour les produits. On constate aujourd’hui déjà que les supermarchés tentent de se conformer à cette tendance : Spar Autriche par exemple avec son atmosphère qui rappelle celle des halles ou le concept d’Eataly en Italie. 

Quels sont concepts qui jouiront à l’avenir de la faveur des consommateurs ?

Dr. Hauser : De nombreux nouveaux concepts tels que des services de livraison spéciaux sur abonnement se développeront. Les commerçants ne doivent plus se « cramponner » uniquement à leur magasin. Les concepts de vente directe mobile sont demandés. Les petits commerces – une interprétation moderne des épiceries d’autrefois – sont de retour. Ils devraient toutefois proposer aujourd’hui des produits convenience. La clé du succès consiste à utiliser les structures de quartier lorsqu’on ouvre des magasins innovants. Il y aura également de plus en plus de concepts proposant des repas à emporter prêts à la consommation ou à finir de préparer et cuire à la maison.

Où les clients achèteront-ils leurs aliments biologiques à l’avenir ?

Dr. Hauser : Là où ils achètent normalement leurs aliments. Je crois que les barrières mentales qui consistaient à faire la différence dans les concepts commerciaux entre les aliments biologiques et conventionnels sont tombées. A l’avenir, les canaux les plus divers seront utilisés. Car tous profitent finalement de l’agrandissement des surfaces consacrées aux aliments bio qui ont ainsi de meilleurs débouchés.

Quelles sont les conclusions que les fabricants et le commerce peuvent en tirer dans la filière bio ?

Dr. Hauser : En ce qui concerne les catégories de valeurs production biologique, provenance régionale et commerce équitable, j’aimerais mettre l’accent sur deux facteurs : on peut et on doit d’une part entrer en contact directement avec le client et présenter des chaînes de valeur plus courtes. Le commerçant doit être en mesure d’expliquer l’origine des produits et quels aspects écologiques et sociaux ont joué un rôle. C’est un avantage présenté par les produits biologiques qu’on pourra encore mettre davantage en valeur à l’avenir.

L’autre fait est que les aliments biologiques, régionaux et issus du commerce équitable jouissent encore aujourd’hui d’une très grande confiance auprès des consommateurs. Mais il faudrait absolument simplifier les décisions (d’achat). Les consommateurs souhaitent effectuer leur choix de manière simple. La réduction de la complexité joue un rôle primordial. Le client veut avoir ce sentiment : « Ici tu peux avoir confiance en nous. Nous garantissons la qualité des produits proposés dans ce rayon ! » 

Vous dites : « Agir correctement est devenu un impératif de plus en plus important sur le plan personnel et social, également au niveau de la consommation. » Qu’est-ce que cela signifie en ce qui concerne les aliments ?

Dr. Hauser : De nos jours, la nutrition est déjà un signe extérieur de richesse. Cette pression subsiste. A l’avenir, non seulement ce qu’on mange sera important mais également comment et aussi où on mange. Ce facteur s’accentuera plutôt encore dans le futur. Mais, même si la nutrition est un signe extérieur de richesse, ce n’est pas pour cela que l’alimentation biologique est par exemple élitaire. C’est un fait sur lequel la branche devrait encore plus fortement attirer l’attention. Oui, les aliments biologiques sont chers mais ils offrent une plus-value. Ils peuvent donc être un peu plus coûteux. Mais il faut être en mesure d’expliquer cela et de dire clairement pourquoi ils valent leur prix.